mardi 21 juillet 2009

Bataille à Rustico : les milieux « bilingues », l’identité culturelle et l’estime de soi

Il n’y a pas longtemps, un débat rageait à l’Île-du-Prince-Édouard au sujet de la construction d’un centre scolaire-communautaire à Rustico.  L’école avait été promise il y a plusieurs années et le modèle du centre scolaire-communautaire a déjà été mis en oeuvre, avec grand succès, ailleurs dans la province : Charlottetown, Summerside, Tignish.
Cependant, la province avait fait volte-face et insisté que les francophones de Rustico devaient se contenter d’une école seulement, et non d’un centre complet.  Puis, le Club des lions de Rustico, dont les locaux logent les classes francophones actuelles, s'est opposé à la construction d'une nouvelle école.  Le Club voyait d’un mauvais oeil s’envoler les milliers de dollars en loyer par mois qu’il recevait du Conseil scolaire  et ne voulait pas de concurrence d’un centre communautaire francophone.  Par conséquent, il a lancé une campagne contre la construction d’une nouvelle école française, déclarant qu’il fallait la garder où elle était. 
La campagne n’a pas porté fruit, malgré l’appui de la population, car la communauté francophone a droit à une école selon la constitution canadienne.  Cependant, l’opinion populaire a encouragé la province dans son refus de financer un centre à usage multiple et la question risque de se trouver devant les tribunaux.  C’est ce qui est arrivé à Summerside, Charlottetown et Tignish, et aujourd’hui, ces centres scolaires-communautaires sont très appréciés de leurs communautés.
Le tollé à Rustico, malheureusement, a aussi fait ressortir les extrémistes qui croient que les francophones devraient se contenter d’écoles bilingues, là où on offre quelques cours en français.  Pourquoi toute une école, rechignent-ils, lorsque cela coûte si cher?
Le pourquoi a été démontré à maintes reprises : lorsqu’une école est « bilingue », cela encourage la perte du français.  En côtoyant leurs homologues anglophones, les élèves de langue maternelle française ont vite matière à s’insécuriser, à manquer d’occasions d’utiliser et donc de renforcer et d’améliorer leur français, et à hésiter à s’en servir ou s’y identifier.  Les cours disponibles dans leur langue risquent d’être une arrière-pensée plutôt qu’une priorité. 
Dans une école bilingue, les jeunes francophones risquent davantage d’être exposés à une image négative d’eux et de leur culture, qui est «autre» et donc, importe moins.  Tandis que les francophones s’efforcent de plaire et de s’intégrer, les anglophones sont déjà le modèle par défaut, et apprennent rarement le français.  Leur situation majoritaire étant « normale », c’est le fait francophone qui paraît étrange, bizarre, pas cool...
Selon ce que j’ai moi-même observé, le phénomène de l’insécurisation identitaire et culturelle est directement proportionnel au degré de « minorisation » des élèves francophones.  Moins il y en a, plus il paraît difficile pour eux de s’affirmer et de se valoriser. Et plus ils paraissent manquer de confiance, de se trouver moins bons, moins beaux, moins brillants.
Pourquoi en parler maintenant, alors que la nouvelle date déjà de quelques mois? Fait peut-être curieux, cette réflexion m’est venue en lisant quelques articles sur les écoles « afrocentriques » à Toronto, forteresse du multiculturalisme canadien.  Je n’ai pu m’empêcher de songer au parallèle entre ces écoles et les nôtres, en milieu minoritaire.  La raison des revendications des parents afrotorontois est la même que la nôtre: ils se sont aperçus que leurs enfants perdaient leur estime de soi là où il manquait d'images positives de leur culture et de leur identité. C'est une leçon qu'il ne faut pas prendre à la légère.
Cependant, l'idée d'une école afrocentrique ne fait pas l'unanimité au sein de la communauté afrotorontoise.  Une des inquiétudes des parents qui s'opposent à y envoyer leurs enfants est l'assurance de la qualité.  Malheureusement, il est vrai que les plus petites écoles ont souvent moins de ressources.  Il est également vrai que si un programme ou un genre d'école est traité comme une arrière-pensée plutôt qu'une priorité, il manquera de ressources.  Je me souviens de ma propre école secondaire, des brûleurs Bunsen brisés, du manque d'ordinateurs à jour, du manque de piscine ou d'installations pour l'apprentissage des métiers, et j'en passe... C'était, à l'époque, la seule école secondaire francophone de Toronto.  Je me souviens avoir souhaité plusieurs fois être transférée à une meilleure école avec davantage de ressources, soit une école anglophone, soit l'école des arts à Ottawa.  Mais la réponse n'est pas de déserter les institutions que nous pouvons créer.  La réponse est de ramasser ces brûleurs brisés, ces appareils antiques, et les brandir en manifestant contre le sous-financement.
Les parents afrocanadiens ont dû lutter contre les mauvaises conditions dans les écoles leur étant allouées dans le sud ontarien des années 1850s.  Sur ce, le mythe de l'antiracisme canadiens est mis à nu dans le traité The History of Immigration and Racism in Canada, de Barrington Walker (Canadian Scholars' Press, 2008, Université du Michigan). 
Sans doute, plusieurs parents afrotorontois craignent que l'Histoire ne se répète.  On peut comprendre leurs inquiétudes, et même les partager.  Pourtant, de nos jours, cela ne pourrait être passé sous silence.

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