samedi 7 août 2010

Affichage: identité, menace ou détail?

Depuis quelque temps, deux endroits au Canada font l'objet de controverse en raison de leur politique d'affichage bilingue.

D'abord, le canton de Russell dans l'est ontarien a adopté en juin 2008 un arrêté municipal rendant obligatoire les deux langues officielles sur toute affiche extérieure. Dans ce cas-là, le propriétaire d'entreprise Jean-Serge Brisson s'est opposé à la démarche... parce qu'il veut garder son affichage unilingue francophone. En même temps, un francophobe appelé Howard Galganov a voulu empêcher le règlement pour la raison contraire, soit la "sauvegarde" de la libre expression en langue anglaise. Les deux opposants se sont retrouvés devant la Cour supérieure de l'Ontario en juin 2010. Pourtant, le même genre de règlement a été adopté sans séquelles par les municipalités avoisinantes de Clarence-Rockland, Casselman et La Nation, malgré qu'il est vrai que les partisans ont subi des menaces et des plaintes au préalable dans certains cas.

Entre-temps, le Front commun pour l'affichage bilingue (FCAB) milite au niveau municipal au Nouveau-Brunswick. La question soulève un tollé à Moncton, dont le tiers de la population parle français, parce qu'un groupe anglophone — «Canadians against forced bilinguism» (Les Canadiens opposés au bilinguisme forcé) — trouve l'idée une contrainte inacceptable sur la liberté d'expression. Un autre groupe, La Anglo Society, a presque réussi à faire flotter son drapeau à la mairie de Bathurst, ville composée à 52 pour cent de francophones. Le Nouveau-Brunswick est la seule au Canada qui soit officiellement bilingue et l'est depuis 1969; cependant, la victoire a été durement acquise. Au niveau municipal, seule la ville de Dieppe vient tout juste de faire passer, cet avril dernier, un règlement sur l'affichage commercial bilingue obligatoire — plus de 40 ans après le geste de la province. Campbellton a aussi étudié la possibilité.

Or, les passions que soulève l'affichage bilingue évoquent deux questions. D'abord, pourquoi le pour; ensuite, pourquoi le contre?

Les organismes qui prônent l'affichage bilingue obligatoire affirment que c'est un outil contre l'assimilation. Même Monique Métivier, la juge de la Cour suprême de l'Ontario qui devait décider de la question à Russell, a fourni cette explication à l'avocat de Galganov. Un article publié dans Le Devoir signale que l'affichage d'une langue est signe de sa vitalité. Du côté pratique, l'affichage en anglais seulement laisse entendre à la clientèle qu'il n'y aura pas, ou très peu, de service en français. Donc, l'affichage en français permettrait aux gens de vivre davantage en français et donc, de renforcer leur identité.

Pourquoi donc y a-t-il tant d'opposition à la chose de la part de certains anglophones? On parle de liberté d'expression: de quelle façon l'ajout d'une langue brime-t-elle l'expression de l'autre? Les commerçants y voient surtout une dépense et un effort de trop. Les militants ont d'autres préoccupations: ils s'inquiètent, apparemment, de perdre le contrôle, de se faire "imposer" le français et dicter leur conduite, de perdre des occasions d'emploi aux francophones qui sont plus souvent bilingues. Un tel argument, évidemment, ne tient pas compte du contraire, soit que les francophones sont obligés de parler l'anglais. Surtout, il ne tient pas compte du fait que de parler deux langues correctement "est une compétence acquise, et non quelque chose qui est tombé du ciel", comme l'explique l'éditorial de L'Étoile du 22 juillet 2010.

Pourtant, l'affichage bilingue a un autre rôle qu'on voit beaucoup moins au niveau régional: celui de faire valoir notre identité canadienne. Le bilinguisme fait partie de notre héritage national, même s'il n'en est pas la totalité dans le contexte de notre caractère multiculturel. Il va donc beaucoup plus loin que de servir une communauté ou l'autre. C'est pourquoi le français a sa place à Toronto, même si la population chinoise est bien plus nombreuse et prend aussi sa place.

À cet égard, pourquoi le gouvernement fédéral n'aurait-il pas de programmes spéciaux pour afficher le caractère bilingue de régions particulières partout au pays? Les municipalités ont toujours été les cousines pauvres des transfers et subventions fédérales. Il serait temps pour les différents paliers de gouvernement de bien percevoir leur intérêt commun en matière d'héritage culturel, à tous les niveaux.

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